Renouons résonner et raisonner pour une année éclairée: l'Appel d'Edgar Morin







"Le but premier est de créer des oasis de vie et des jonctions entre ces oasis de vie. Ce n’est pas un projet de société que mon appel énonce, mais une voie de civilisation." 


Edgar Morin


"Le peuple, légitimement à bout, penserait davantage dit-on avec ses émotions ou ses tripes, qu'avec sa raison : renouons résonner et raisonner pour une année éclairée." 

Anne Verron



L'Appel d'Edgar Morin s'adresse à tout le monde


Cet Appel rédigé par Edgar Morin nous invite, citoyennes et citoyens qui vous reconnaissez dans ce texte à parler d’une seule voix et à peser fortement dans le débat public. En signant cet Appel, vous exprimez votre accord avec ce texte et vous manifestez votre souhait de contribuer à rassembler la multitude d’initiatives issues des actrices et acteurs de la société civile.

Nous sommes innombrables mais dispersés, à supporter de plus en plus difficilement l’hégémonie du profit, de l’argent, du calcul (statistiques, croissance, PIB, sondages) qui ignorent nos vrais besoins ainsi que nos légitimes aspirations à une vie à la fois autonome et communautaire.

Nous sommes innombrables mais séparés et compartimentés à souhaiter que la trinité Liberté Égalité Fraternité devienne notre norme de vie personnelle et sociale et non le masque à la croissance des servitudes, des inégalités, des égoïsmes.


Depuis des décennies, plus rien ne va


Au cours des dernières décennies, avec le déchaînement de l’économie libérale mondialisée, le profit s’est déchaîne au détriment des solidarités et des convivialités, les conquêtes sociales ont été en partie annulées, la vie urbaine s’est dégradée, les produits ont perdu de leurs qualités (obsolescence programmée, voire vices cachés) les aliments ont perdu de leurs vertus, saveurs et goûts.

Certes, il existe de très nombreux oasis de vie aimante, familiale, fraternelle, amicale, solidaire, ludique qui témoignent de la résistance du vouloir bien vivre ; la civilisation de l’intérêt et du calcul ne pourra jamais les résorber. Mais ces oasis sont encore trop dispersés et se connaissent encore trop peu les uns les autres.

Ils se développent pourtant et leur conjonction ébauche le visage d’une autre civilisation possible.


Le visage d'une autre civilisation est possible


La conscience écologique, née de la science du même nom, nous indique non seulement la nécessité de développer les sources d’énergie propres et d’éliminer progressivement les autres y compris le si dangereux nucléaire, mais aussi de vouer une part plus importante de l’économie à la salubrité des villes polluées et à la salubrité de l’agriculture, donc à faire régresser agriculture et élevage industrialisés de plus en plus malsains, au profit de l’agriculture fermière et de l’agro-écologie.

Une formidable relance de l’économie faite dans ce sens, stimulée par les développements de l’économie sociale et solidaire, permettrait une très importante résorption du chômage comme une importante réduction de la précarité du travail.


Des réformes ambitieuses mais accessibles deviennent indispensables, lesquelles ?


Une réforme des conditions du travail serait nécessaire au nom même de cette rentabilité qui aujourd’hui produit mécanisation des comportements, voire robotisation, burn out, chômage qui donc diminuent en fait la rentabilité promue. En fait la rentabilité peut être obtenue, non par la robotisation des comportements mais par le plein emploi de la personnalité et de la responsabilité des salariés. La réforme des États peut être obtenue, non par réduction ou augmentation des effectifs, mais par débureaucratisation, c’est à dire communications entre les compartimentés, initiatives et rétroactions constantes entre les niveaux de direction et ceux d’exécution.

La réforme de la consommation serait capitale. Elle permettrait une sélection éclairée des produits selon leurs vertus réelles et non les vertus imaginaires des publicités (notamment pour la beauté, l’hygiène, la séduction, le standing), ce qui opérerait la régression des intoxications consuméristes (dont l’intoxication automobile). Le goût, la saveur, l’esthétique guideraient la consommation, laquelle en se développant ferait régresser l’agriculture industrialisée, la consommation insipide et malsaine, et par là, la domination du profit.

Le développement des circuits courts, notamment pour l’alimentation, via marchés, Amaps, Internet, favorisera nos santés en même temps que la régression de l’hégémonie des grandes surfaces, de la conserve non artisanale, du surgelé.

Par ailleurs, la standardisation industrielle a créé en réaction un besoin d’artisanat. La résistance aux produits à obsolescence programmée (automobiles, réfrigérateurs, ordinateurs, téléphones portables, bas, chaussettes, etc.) favoriserait un néo-artisanat. Parallèlement l’encouragement aux commerces de proximité humaniserait considérablement nos villes. Tout cela provoquerait du même coup une régression de cette formidable force techno-économique qui pousse à l’anonymat, à l’absence de relations cordiales avec autrui, souvent dans un même immeuble.


Une nouvelle orientation de l'économie au profit de tous nous tend les bras


Ainsi les consommateurs, c’est à dire l’ensemble des citoyens, ont acquis un pouvoir qui faute de reliance collective, leur est invisible, mais qui pourrait une fois éclairé et éclairant déterminer une nouvelle orientation non seulement de l’économie (industrie, agriculture, distribution) mais de nos vies de plus en plus conviviales.

Une nouvelle civilisation tendrait à restaurer des solidarités locales ou instaurer de nouvelles solidarités (comme la création de maisons de la solidarité dans les petites villes et les quartiers de grande ville).

Elle stimulerait la convivialité, besoin humain premier qu’inhibe la vie rationalisée, chronométrée, vouée à l’efficacité.


Les voies d'une réforme existentielle est devenue essentielle et surtout salvatrice


Nous pouvons retrouver de façon nouvelle les vertus du bien vivre par les voies d’une réforme existentielle.

Nous devons reconquérir un temps à nos rythmes propres, n’obéissant plus que partiellement à la pression chronométrique. Nous pourrons alterner les périodes de vitesse (qui ont des vertus enivrantes) et les périodes de lenteur (qui ont des vertus sérénisantes).

La multiplication actuelle des Festivités et festivals nous indique clairement nos aspirations à une vie poétisée par la fête et par la communion dans les arts, théâtre, cinéma, danse. Les maisons de la culture devront trouver une vie nouvelle.

Nos besoins personnels ne sont pas seulement concrètement liés à notre sphère de vie. Par les informations de presse, radio, télévision nous tenons, parfois inconsciemment, à participer au monde. Ce qui devrait accéder à la conscience c’est notre appartenance à l’humanité, aujourd’hui interdépendante.

Nous croyons comme Montaigne le disait déjà au XVIe siècle que « tout homme est mon compatriote » et que l’humanisme se déploie comme respect de tout être humain. Nos patries dans leur singularité font partie de la communauté humaine. Nos individualités dans leur singularité font partie de la communauté humaine. Les problèmes et périls vitaux apportés par la mondialisation lient désormais tous les êtres humains dans une communauté de destin.


Matrie, patrie et citoyenneté


Nous devons reconnaître notre matrie terrienne (qui a fait de nous des enfants de la terre) notre patrie terrestre (qui intègre nos diverses patries) notre citoyenneté terrienne (qui reconnaît notre responsabilité dans le destin terrestre). Chacun d’entre nous est un moment, une particule dans une gigantesque et incroyable aventure, issue d’homo sapiens-demens, notre semblable dès la préhistoire, et qui s’est poursuivie dans la naissance, la grandeur, la chute des empires et civilisations et qui est emportée dans un devenir où tout ce qui semblait impossible est devenu possible dans le pire comme dans le meilleur. Aussi un humanisme approfondi et régénéré est il nécessaire à notre volonté de réhumaniser et régénérer nos pays, nos continents, notre planète.


La mondialisation ne doit pas nous acculer au repli sur nous, bien au contraire !


La mondialisation avec ses chances et surtout ses périls a créé une communauté de destin pour tous les humains. Nous devons tous affronter la dégradation écologique, la multiplication des armes de destruction massive, l’hégémonie de la finance sur nos États et nos destins, la montée des fanatismes aveugles.

Paradoxalement c’est au moment où l’on devrait prendre conscience solidairement de la communauté de destin de tous les terriens que sous l’effet de la crise planétaire et des angoisses qu’elle suscite, partout on se réfugie dans les particularismes ethniques, nationaux, religieux.

Nous appelons chacun à la prise de conscience nécessaire et aspirons à sa généralisation pour que soient traités les grands problèmes qui sont à l’échelle de la planète.

Que tous ceux qui se reconnaissent dans ce texte lui apportent leur approbation.



Cet Appel a été présenté lors des dialogues en Humanité et lancé à L'Université d'Utopia par Edgar Morin à Mandelieu-la-Napoule le 24 septembre 2016.






Commentaires


  1. Bon jour Anne,

    Nous voilà enfin au seuil d’un projet de société et de civilisation, à l’aune de notre « terre Patrie » ;
    Nous voici invités grâce à la Pensée Complexe - qui relie, résonne et nous aide à raisonner- à penser par nous-mêmes, à saisir la complexité du réel, pour comprendre, élucider, (dé)construire, ensemble à l’aune une posture dialogique, empreinte aussi d’introspection.
    Attachée à cette Pensée et à la « Méthode » d’Edgar Morin depuis bien longtemps, je crois à tous les possibles pour notre nature et notre condition humaines.
    Merci Anne d’avoir « fait lien » et ce faisant de nous rasséréner.

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  2. Bonjour et bon jour Valérie,

    Tout d'abord, je vous remercie pour votre commentaire dense, profond et qui fait sens.

    Oui, tout est en effet possible, et je reste persuadée que nous sommes tous des colibris, qui unis, peuvent faire émerger une nouvelle civilisation où le vivre ensemble ne sera pas décrété mais désiré, partagé et vécu par chacun et chacune.

    Il est trop facile, je crois, d'accuser systématiquement le monde politique quand à côté les citoyens ne se "bougent" pas ni ne se remettent en question.

    Certes, les contraintes pèsent sans cesse plus lourd sur quasi tout le monde et peuvent empêcher tout élan mais le déclic citoyen ne peut être aussi facilement balayé d'un revers de la main ou en soupirant.

    Nous sommes tous des gens ordinaires uniques.

    Ordinaires car appartenant tous sans exception au genre humain, et uniques de par notre vécu toujours singulier et donc irremplaçable.

    Ayons enfin l'audace et le courage d'oser être, d'oser avoir et d'oser nous aimer.

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  3. Nous sommes au début d'une nouvelle ère qu'on pourrait nommer l'ère quantique. Après la post-modernité chère à Michel Maffesoli et à la modernité à laquelle elle succédait, nous sommes dans une société fractale, un "temps d'après" comme disait Hélène Richard, où toute le formes de lien social existent. C'est bien l'ère des possible mais aussi des confusions et des étouffements, des essoufflements. Oui, des "alternants culturels" agissent et posent le monde qu'ils veulent vivre, abandonnant de le réclamer, chose inutile et contre productive.
    Oui, ces alternants culturels prennent les organisations, les entreprises, les espaces, comme des terrains de leurs jeux : expérimenter ! Oui, ils sont en réseaux mais pas reliés car, caractéristique majeure, ils ne cherchent pas le pouvoir car... ils l'ont : celui de faire.
    Ce monde est en marche depuis plusieurs années et je dis aux dirigeants que je rencontre : "occupez vous de ces gens lৠPrenez en compte leurs démarches car, sans cela, ils avanceront sans vous et leur vague vous emportera!".
    Avec le plaisir de partager cette aventure
    Jean-Marc SAURET
    http://jmsauret-managerconseil.blogspot.fr/

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    1. Bonjour Jean-Marc, je ne découvre que ce matin votre commentaire datant d'il y a plus de 4 ans. Sic ! Ce que vous écrivez est percutant : pensez-vous toujours la même chose en mars 2021 ? Merci pour votre intention en tous les cas : oui, je fais en effet, moi aussi :) Avec plaisir pour partager sur ces thématiques, j'irai voir votre blog. Bien à vous. Anne

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